C'était un jour d'automne. Froid et glacial. Les feuilles s'étaient déjà éprises du bitume. Les arbres les dédaignaient de ce choix, car les voilà tout frissonnant, pliés sous le vent. Plus précisément, c'était une fin d'après-midi. De pâles rayons de soleil balayaient encore le jardin du pensionnat et se reflétaient dans les flaques des averses de la journée. La grande allée qui menait au bâtiment principal était bordée de platanes impressionnants de par leurs âges. La tranquillité qui régnait allait bientôt être déranger par une petite intrus. Mais, chut…

Emily paya sa course et émergea du taxi. Elle avait les jambes qui tremblaient sous elle, la menaçant de tomber à chaque instant. Elle tentait de se calmer, respirant à pleins poumons, plus ou moins en vain. Elle gardait cette angoisse qui lui nouait le ventre depuis ce matin. C'était le grand jour... Cette fois, elle était arrivée. Après 12h d'avion depuis Londres et une heure de taxi pour sortir du centre de Kyoto. Plus question de faire demi-tour. Elle s’empara de son énorme valise et la sortit du coffre. Le froid lui agressait désormais les jambes. Elle était plus que pressée de se retrouvée à l’intérieur. Pourtant, elle ne pouvait se résoudre à se dépêcher. Elle commença à traîner péniblement sa valise derrière elle, le long de l’allée. Au bout, un bâtiment imposant lui faisait face.

Je ne l’imaginais pas si grand…! Je pourrais jamais m’y retrouver ! Douée comme je suis !

La demoiselle restait stupéfaite. C’est seulement quand elle remarqua que le ciel commençait sérieusement à s’assombrir qu’elle se remit en route. L’allée était plus longue qu’elle ne le pensait. Sa valise lui faisait la au bras. Et, rien que pour son plaisir, la pluie ne tarda pas à la rejoindre. Elle accéléra. Mais évidemment, avec elle, ça ne rate jamais. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, elle se retrouva par terre, le nez dans les graviers. Ses joues s’empourprèrent.

- Et merde ! ‘tain, j’suis vraiment pas douée !, s’écria t-elle en anglais, malgré elle.

La jeune femme se releva, dégoûtée de son sort. Son chemisier blanc était trempé, et ses bottes sensées être blanches ne l’étaient plus tellement.

Et dire que je m’étais appliquée pour avoir l’air normal…

Cette fois, elle n‘allait pas tarder à craquer. Son père, mort. Sa mère, toujours absente. Et, elle, petite anglaise qu’elle, on la met dans un pensionnat au Japon ! Elle voulait retourner chez elle, en Angleterre. Se débrouiller toute seule, ou aller vivre chez sa tante, à Brighton. Mais non… Sa mère voulait l’avoir près d’elle. Emily se demandait si cela servait vraiment à quelque chose, elle ne la verrait que pendant les vacances scolaires, et encore.

- J'pense que cette fois c'être pas ta faute. Pleut, ca glisse là !

Surprise, Emily sursauta au son de la voix inconnu. Elle releva la tête et découvrit qu'un jeune homme lui présentait un parapluie en s'empressant de récupérer sa valise. Il l'invita à le suivre, un grand sourire aux lèvres. Incertaine, elle se mit à lui suivre, tandis qu'il se mettait à rire. Elle arriva à sa hauteur, et lui dit timidement, encore toute honteuse de sa chute :

- Merci... Je suis Emily Stranger.

Elle s'était exprimée dans un japonais clair et poli. Espérant que son accent ne se ferait pas trop sentir. Elle joignit les mains pour se les réchauffer comme elle le pouvait. Elle réfléchit à ce dont elle pouvait bien parler, mais rien ne lui vint. Comme d'habitude d'ailleurs. Elle était d'un naturelle trop timide pour prendre la parole si aisément. Le demoiselle se contenta donc d'observer autour d'elle.

Elle se sentait de plus en plus petite, à la vue du pensionnat. C'était un bâtiment imposant, pas particulièrement haut. Il paraissait assez ancien, bien qu'il reste parfaitement aux goûts du jour. D'autres bâtiments se dressaient à ses cotés. Et entre eux, un parc se profilait sans qu'Emily puisse en discerner les limites. Le pensionnat paraissait accueillant.

Puis, elle se mit à observer l'homme qui marchait avec elle. Il était plutôt grand. En même temps, tout est relatif. Et on ne pouvait pas dire que la demoiselle était de grande taille. Il avait une carrure élancée, et des yeux pour le moins intrigants. Il affichait un sourire enjoué, sincère. Ce n'est qu'à cette instant qu'elle s'aperçut qu'elle ne savais même pas comment il s'appelait.

- Et toi ?, demanda t-elle d'une voix mal assurée.

Alors là, elle ne comprenait plus rien. Avait-elle vraiment bien traduit ? Il était peu probable qu'elle fasse encore des erreurs, mais les propos du dénommé Shin lui semblaient tellement étranges qu'elle ne pouvait se résoudre à sa traduction. Ou, peut-être qu'il se moquait d'elle ? Ah oui, cela lui semblait bien plus possible. Pourquoi ferait-il ça ? En même temps, une nouvelle qui débarque et se gamelle toute seule... Ça doit être assez amusant. La jeune femme soupira. Pourtant, il lui avait semblé sympathique. Elle n'osait plus le regarder, de peur de croiser son regard, et encore moins lui adresser un mot.

C'est donc ainsi qu'après s'être rapidement séchée, sans perdre de temps, ils se retrouvèrent à arpenter les couloirs en directions des dortoirs, aile F. Le voyage lui parut durer une éternité.

Je ne pourrais jamais m'y retrouver... Je vais pas arrêter de me paumer...

Et après encore de nombreux couloirs et des portes à n'en plus finir, Shin se stoppa devant l'une d'elle. Une écriteau l'a ornait avec délicatesse : "Chambre 3". Emily tenta machinalement de se souvenir de la lettre qu'elle avait reçu du pensionnat deux semaines plus tôt. Celle où elle avait été accepté dans cette établissement, il lui semblait qu'on lui avait précisé sa chambre. Mais, évidement, il lui était incapable de se rappeler de quoique ce soit. Elle fut donc contrainte de se laisser mener par son nouveau guide.

D'anxiété, elle ne pouvait s'arrêter de jouer avec ses petites mèches qui lui barraient sans cesse le visage. C'était une manie qu'elle avait pris, au fil des années, après être passer par d'autre tics moins plaisants, comme se ronger les ongles. Elle ne pouvait pas non plus s'empêcher de jeter des regards furtifs vers le jeune homme. Il lui paraissait tellement sûr de lui. C'en était presque écœurant pour la demoiselle qui n'avait jamais pu mettre un pied devant l'autre sans être anxieuse du pas suivant.