Dire qu'il faisait beau était un euphémisme. Le soleil avait – enfin – pointé le bout de son nez, et autant dire que tous les élèves en profitaient à fond pour sortir. Et, comme toujours, le jardin était plein à craquer. Aucun banc de libre, chaque brin d'herbe était recouvert par un sac ou un jean, des élèves assis, allongés, debout, adossés, c'était insupportable.

Pourtant, rien ni personne ne pouvait se mettre en travers de Mitsuko et du banc de pierre à l'ombre qu'elle visait, et ce pour deux raison. D'une, elle était là depuis trois ans, et de ce fait, tout le monde connaissait cette tignasse turquoise dès qu'elle tournait un couloir ou passait une porte. De deux, ils savaient tous que la demoiselle était un véritable tourbillon, et qu'il valait mieux ne jamais la contrarier lorsqu'elle n'était pas débordante d'exubérance. Elle faisait partie du palmarès des élèves les plus collés, engueulés, punis, avait même été renvoyée définitivement avant de finalement revenir (money money), et paradoxalement, des élèves qui n'hésitaient pas à continuer à faire des conneries dès que l'occasion se présentait. Dès qu'un coup foireux et absolument improbable se pointait à l'horizon, il était pour elle, car non contente de ne pas tenir en place, elle entrainait toujours les autres dans des délires absolument bizarres.

Si la belle n'était pas une terreur, elle n'en était pas moins sacrément de mauvaise humeur, si bien que lorsqu'elle arriva et se dirigea avec une assurance non feinte vers le banc désigné, ses occupants libérèrent la place aussitôt. C'était à ses yeux le meilleur du jardin. Protégé du soleil par un grand arbre qui ne perdait pas de feuilles, il y avait ce petit air frais qui passait sans trop être dérangeant, et on avait une vue sur tous les jardins sans trop voir la bâtisse. Et puis, c'était celui que les oiseaux attaquaient le moins avec leurs foutues fientes. Elle aurait pu faire la gentille et se trouver une place sur l'herbe, mais elle avait sacrément la flemme de chercher et surtout, elle avait envie d'être tranquille, pas bousculée par les élèves alentours au moindre mouvement. Fermant les yeux une fraction de secondes, elle rajusta l'une de ses oreilles qui commençait à tomber. Maximum Balloon, Tiger, qu'est-ce qu'elle pouvait kiffer cette chanson... Elle se sentait bien, là. Au frais, tranquille, en musique, si bien que lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle s'attendait presque à être seule au milieu du jardin.

… Sauf qu'il y avait cette nana, en face...

Fuck.

Elle avait probablement le pouvoir de mettre mal à l'aise une horde de geeks en chaleur, mais franchement, qui n'en était pas capable ? Et puis, notre Saitô était loin d'être une geek, et en chaleur de surcroit, elle n'avait donc strictement rien à craindre. Ne prenant même pas la peine de dévisager la nana, ou d'analyser son style vestimentaire afin de savoir ce qu'elle était exactement, elle devina instantanément sa nature de Lovely Girl au regard totalement ridicule que la brunette venait d'adopter. Elle aurait probablement intimidé un écureuil, oui oui, même en chaleur, mais face à Mitsuko, il en fallait bien plus.

Ses lèvres remuaient, mais le son était bien trop fort pour qu'elle puisse l'entendre, et de toute façon, son air laissait deviner des paroles peu agréables. La demoiselle hésita un court instant entre retirer ses oreillettes et lui demander de répéter, ou rester ainsi, et fermer les yeux à nouveau. Elle finirait probablement par partir. Elle opta finalement pour une solution intermédiaire.

Mitsu' penche la tête sur le coté, analysant les traits du visage de la demoiselle et, sans se préoccuper de savoir si elle lui répondait ou non, elle enchaîna.

Non, non, ce n'était absolument pas une question, mais un fait.

Et sur ces dernières paroles – qu'elle avait beau avoir prononcé, elle ne les avaient pas entendues, noyée dans la musique se diffusant dans ses oreilles – elle referma les yeux, se disant que lorsqu'elle les rouvrirait, quelques secondes plus tard, elle aurait probablement disparu.

… Ou pas.

Quand elle avait rouvert les yeux, la brunette n'était pas partie, et pire, elle avait adopté une position vraiment tendancieuse dans son genre. Haussement de sourcil perplexe. Elle mit sa musique en pause juste à temps pour se prendre la réplique de son interlocutrice. Enfin, interlocutrice... Adversaire plutôt, vu la tournure que les évènements prenaient.

Et vazy que je t'arrache ton casque. Oh, attends, elle cherchait la bagarre ? Mitsuko n'avait pourtant pas esquissé un seul geste déplacé ou même agressif, la Lovely devait être sur les nerfs.

Mitsuko ne prit même pas la peine de retenir le sourire qui s'affichait sur ses lèvres.

Elle avait teinté l'adjectif d'une moquerie si accentuée, accompagnée d'un ton imitant à la perfection une véritable pouf pure souche, que la horde de geek se serait probablement pissé dessus. Pourtant, elle ne s'énerva pas, non. Il semblait beaucoup plus amusant de répliquer comme si elles parlaient de la pluie et du beau temps, et de la voir s'énerver toute seule contre... contre quoi au juste ?

Sourire narquois. Elle jeta un œil autour d'elle, et le moins que l'on puisse dire, c'est que tout le monde les regardaient. Umeko devait avoir l'habitude, certains chuchotaient qu'elle avait déjà agressé une fille auparavant, d'autres disaient qu'elle était complètement inconsciente de s'attaquer à Saitô, la représentante d'une classe de troisième année et la rédactrice en chef du journal du pensionnat. Peut-être avaient-ils tord, peut-être pas. Mais dans tous les cas, la nouvelle venue n'était pas sur son territoire. Du moins pas encore.

La calmer ? Être pacifique ? Non, ce serait mal connaître Mitsuko que d'avancer qu'elle va tenter de calmer le jeu. Parce que, dès qu'il y a de la bagarre dans l'air, croyez-moi, elle en est.

Ah ah ?

Ça commençait à devenir intéressant, pour les spectateurs ici présents. Beaucoup avaient dégainés leurs portables, et Mitsuko savait que dès que l'altercation serait terminée, les vidéos se retrouveraient en masse sur YouTube ou autre, et seraient envoyées à tous ceux qui n'étaient pas là à cet instant. C'était en quelques sortes un problème pour notre demoiselle à la chevelure bleue. Non pas que sa réputation l'inquiète, mais elle avait ""promis"" au proviseur de ne plus se battre dans l'enceinte de l'établissement. Elles seraient à Furui, Saitô n'aurait pas hésité une seule seconde à lui mettre la tête dans la fontaine jusqu'à ce qu'elle y laisse couler son égo en même temps que son maquillage de pouf (j'imagine). Il n'y aurait eu aucun problème également s'il n'y avait eu aucun témoin. Mitsuko savait mentir comme personne : Si Umeko s'était plainte au proviseur ou à l'intendant, elle aurait nié avec un aplomb impossible à remettre en doute.

Mais là, des témoins il y avait, et une méchante preuve accablante si par mégarde il lui traversait l'esprit de saisir la chevelure de la brunasse et de la plaquer au sol sans ménagement, avant de lui faire comprendre que si elle lui manquait de respect encore une fois, elle allait se manger un arbre, et dans le sens premier du terme.

Mauvais raisonnement, mauvais ton, mauvais langage.

Si Mitsuko s'était levé, la petite dizaine de centimètres qui la rendaient plus grande aurait été flagrante, quand bien même Umeko portait des talons hauts, ce qu'elle n'avait même pas pris la peine de relever. Mais elle n'en fit rien, car la jeune fille venait de lui attraper la joue, ce qui alerta de beaucoup la jeune femme, mais pas pour la raison que l'on peut imaginer. Sentant ses ongles s'enfoncer ses joues, songeant à peine à la marque que ça allait laisser, elle peint sur son visage un masque d'épouvante remarquablement vrai. Elle hoqueta un instant – avant de se demander pourquoi elle n'était pas actrice – sembla balbutier, puis dit en la montrant du doigt, d'une voix claire et forte, afin que tout le monde l'entende :

... ce qui provoqua un éclat de rire général dans l'assemblée.

Car quiconque avait déjà croisé la fameuse Fujiyo Tanaka, l'une des prof' de mathématiques, ne pouvait pas oublier ce geste si... chiant, qu'elle faisait subir aux élèves qui attiraient son attention. Elle avait cette méchante habitude de prendre leur joue et de la secouer sans ménagement, prenant tous ses élèves pour ses enfants. Cette femme étant d'un ridicule sans nom, et étant souvent l'objet de moqueries de la part des élèves, la remarque de Mitsuko provoqua une hilarité générale au sein de la foule qui les avaient entourés, à bonne distance cependant, au cas où elles en viendrait aux mains. On commença à comparer Umeko et Fujiyo avec maints rires, mais les portables n'avaient pas cessés de filmer une seule seconde du spectacle.

Laissant un sourire franchement moqueur remplacer sa fausse frayeur, Mitsuko prit la main d'Umeko et la força à la lâcher, avant d'ajouter gentiment, changeant son sourire pour un air bienveillant :

Elle avait vraiment l'air conciliante et prête à oublier ce qui s'était passé. Une seconde chance, une attitude qui surprit plus d'un spectateur, compte tenu de son caractère bagarreur. Seuls ceux qui la connaissaient bien savaient qu'elle n'en pensait pas moins, et qu'elle faisait ça uniquement dans son intérêt, et pas dans celui de sauver Umeko d'une honte certaine. Le tout était de savoir ce que Mitsuko voulait...

Étant toute deux absente depuis un certain temps je me permet d'archiver dans une semaine, si je reste sans nouvelle. Comme pour tous un simple MP et votre RP ré-embarque.