Le temps était glacial. Le ciel d'un corps nuageux semblait hésiter entre pluie et neige. Mais finalement c'était une sorte de pluie gelée qui s'abattit en rafale sur le pensionnat. Le sol s'était verglacé à la chute vertigineuse de température. Le vent s'était soudain levé débarrassant le parc de son revêtement de feuilles chaudes en couleurs. Quant au soleil, il s'était comme évaporé depuis quelques semaines déjà... Ne restaient en couleurs, que le blanc du ciel, le gris sombre des bâtiments et les rares personnes s'aventurant dans le parc, tachetant çà et là l'herbe d'un vert terne et bien pâle. Parmi ces élèves, il y en avait une qui marchait, seule.

La démarche rapide et peu assurée la jeune femme, simplement enveloppée d'une veste au style très anglais, manquait à chaque pas de se retrouver le nez au sol. Elle portait une robe noire en laine mais apparemment pas assez chaude pour la saison, puisqu’elle serrait les poings recouverts de longues mitaines sombres contre elle. Le visage, à moitié emmitouflé dans une écharpe, grimaçait contre le froid qui l’agressait. Et, malgré son épais collant et ses Dr Martens, ses jambes tremblotantes l’a soutenaient avec peine à chaque pas de plus.

Emily sortait d’un cours d’Histoire qui l’avait particulièrement agacé. Le Japon n’était pas son pays d’origine alors comment pourrait-elle connaître son histoire ? Mais le professeur ne comprenait pas, cela lui paraissait évident. C’était la seule matière où elle largement en dessous de la moyenne. Ca lui paraissait injuste qu’elle perde des points parce qu’elle était anglaise. Ce n’était pas son Histoire. Qu’on lui donne un sujet d’Histoire de l’Angleterre, elle réussirait, mais là, elle n’avait pas les connaissances. Alors évidemment, elle ne pouvait pas progresser. Et le professeur était buté au point de refuser de l’aider prétextant que c’étaient des notions vu il y a bien longtemps.

La demoiselle soupira. Enervé et rageant contre le système scolaire toujours mal foutu, elle se hasardait dans le parc, cherchant un endroit tranquille. Mais, il commençait à faire vraiment froid, et elle fut bien forcée de rentrer dan un des bâtiments. Ne voulant pas rester au milieu du chahut où elle se retrouva d’abord, elle grimpa quelques étages, toujours en quête de tranquillité. Par la force des choses, elle ouvrit et une porte et découvrit une salle lui faisant vaguement penser à un grenier.

L’endroit était chaud et sec, c’était le principal. Le parquet abîmé grinçait doucement sous ses pieds et était jonché d’innombrables choses diverses. Des livres, des chaises, des chevalets, quelques cahiers, des piles de manuels scolaires… Le tout nimbé dans une poussière asphyxiante. A plusieurs reprises, elle se retint de saisir un bouquin pour, au moins déchiffrer le titre, mais, à qui appartenait tout de bordel ? Au pensionnat ? Aux élèves ? Aux profs’ ?

Ce n’est qu’à cet instant qu’elle remarqua un jeune homme assis sur une chaise feuilletant un album. Il paraissait absorber par sa lecture et remarqua bien tard la présence de la jeune anglaise. Elle était presque sûr de l’avoir déjà croiser dans les couloirs, alors, sans plus se préoccuper de lui, elle s’arrêta soudainement et n’y tenant plus, elle s’écroula à terre, entre les toiles d’araignées et les débris de bois, et s’empara du premier roman qui lui passait sous la main. Shakespeare. Un anglais ! Elle sourit et se mit en tête de déchiffrer la couverture qui l’ornait.

Emily avait peiné à déchiffrer le titre, mais finalement elle le reconnut. Roméo et Juliette. Y'avait pas plus joyeux comme histoire, tiens... Elle soupira, mais ouvrit le roman et se mit à sa lecture. Elle trouvait le début un peu long. L'auteur trainait à mettre en place l'action. Et puis, à peine quelques pages plus loin, le jeune homme s'approcha d'elle, s'accroupit et, lui montrant une vieille photo en pointant une femme qui y figurait, la questionna. Levant d'abord un regard étonné vers lui, elle s'assit en tailleur et observa la photo sans grande attention.

La photo était usée sur les bords mais les figurants restaient intacts. L'anglaise fut tout de suite intéressée par la personne de droite. C'était la femme pointée par l'homme qui se tenait à coté d'elle. Elle était de style asiatique, ses yeux bridés d'un brun profond pétillaient de malice. Ses longs cheveux sombres tombaient avec élégance sur ses épaules. Le visage finement sculpté contrastait avec la tenue de sport que les trois personnages portaient. Cette femme, la jeune anglaise la reconnaissait. Évidemment qu'elle la reconnaissait... C'était sa mère.

Du moins, sa mère biologique. Elle ne l'a considérait pas comme sa mère. Elle n'avait jamais été là. Toujours en voyage. Et surtout, elle avait divorcé de son père et s'était barré. Emily ne l'avait pas revu de toutes ces années, jusqu'à la mort de son père. Puis, elle avait été obligée de la rejoindre au Japon et s'était retrouvée dans ce pensionnat, loin de tout ce dont elle avait l'habitude. Elle ne voulait pas la voir, et le contraire était probablement aussi valable. Tout les souvenirs remontèrent à la surface de la demoiselle, la noyant dans un flot de sentiments contradictoires. D'un revers de la manche, Emily fit disparaitre la naissance imprudente de quelques larmes.

- Sakura Torizaki. Répondit-elle froidement. Elle avait pris soin de la nommer sous son nom de jeune fille pour qu'il n'y ai aucun lien entre elles.

Les deux autres personnes de la photo lui étaient inconnu. Ils ne lui disaient rien du tout. Emily ne l'avait jamais vu ou alors elle ne s'en rappelait pas...

- Les autres, j'connais pas. Ajouta t-elle, adoucissant sa voix pour au moins paraitre poli.

[HRP : OMG, j'suis désolée ! J'suis absolument impardonnable >.< Mais... Tu me pardonnes, hein ?]

A peine de nouveau tranquille pour décrypter le bouquin qu'elle avait entre les mains que le jeune homme se baissait une nouvelle fois et la questionna, pointant toujours la femme toute souriante sur la photo. Évidemment. La question auquelle elle ne voulait pas répondre. Elle se plongea un moment dans l'image en noir et blanc, abimée par le temps. Des souvenirs lui revenait en rafales, mais aucun ne faisait allusion à une certaine compétition sportive comme semblait indiquer la photo par le stade en arrière plan et les tenues sportives des figurants.

- Ma mère. Dit-elle simplement, comme s'il s'agissait d'une banalité.

Malgré son ton qui se voulait léger, une boule se formait lentement dans sa gorge et elle serrait les dents pour ne pas éclater de rage.

Ou plutôt celle qui m'a porté neuf mois, m'a élevé quelques années puis s'est barré pour retrouver son pays, en se débarrassant de moi à mon père. Les deux étant au final autant absent l'un que l'autre, ils auraient mieux fait de me refiler à quelqu'un d'autre. Enjoy. Pensa t-elle amèrement. Tiens, je me demande comment ils traduisent "Enjoy"... 'Faudra que je demande à l'occasion.

Elle reprit ses esprits et tenta un sourire forcé au jeune homme, essayant de lui faire comprendre que le sujet était plutôt délicat, puis elle retourna à son roman.