Un couloir blanc. Des murs blancs. Des gens en blanc. Des bruits blancs. L'odeur de l'hôpital... Une odeur reconnaissable parmi toutes. Une de ces odeurs qui vous cerne, vous envahit. Lentement. Et dont vous ne pourrez jamais vous détacher complètement. Dans ce couloir, entre ces murs, une gamine à peine paumée.

Emily patientait depuis maintenant trente-huit minutes et cinquante secondes précisément. L'horloge en face d'elle lui assenait, régulièrement, son tic-tac lancinant. Son regard était fixe, suivant la progression chronique de la trotteuse. C'était la seule occupation qu'elle s'était trouvée pour éviter de trop réfléchir, de trop penser, de trop se souvenir. De toute façon, l'heure n'était plus la même dans sa tête, elle était déréglée, à nouveau. Et puis à quoi bon être réglée quand on sait que c'est voué à l'échec ? Franchement...

La demoiselle s'était résolue à attendre. Pourquoi ? Elle ne connaissait même pas cette jeune fille. Qu'attendait-elle alors ? Silence. L'assemblée faisait preuve d'un silence presque religieux. Pas la moindre réponse. Ne serait-ce qu'une faible proposition... Rien. Et cinquante huit secondes. C'est long... L'urgentiste l'avait posé là comme on pose un meuble Ikéa même pas monté. Dans un coin, pas trop voyant, on s'en occupera plus tard...

Trente neuf minutes pile. Les mains de l'anglaise s'agitaient, cherchaient une accroche, une prise. Tout ce qui passait sous ses doigts était fébrilement déchirer. Anxiété inconsciente. C'est épuisant de s'inquiéter seule. A la quatrième seconde des quarante minutes d'attente, Morphée cueillit la demoiselle sans le moindre mal. Noir.

Lorsqu'elle s'éveilla en sursaut, Emi fut prise d'angoisses. Jusqu'à ce qu'elle réalise que ce n'était pas elle cette fois-ci qui était sur la table... Mais quelqu'un d'autre. D'ailleurs qui était-ce ? Aucune réponse de ce coté. Par réflexe, elle jeta un regard vers l'horloge qui elle n'avait pas bougé d'un centimètre. Il était presque 19h. A quelle heure était-elle arrivée déjà ? Elle avait oublié.

S'étirant doucement, la jeune femme se leva de son siège et fit quelques pas dans le couloir. Elle bailla et se posta devant la fenêtre. Impatiente de pouvoir sortir de ce bâtiment, elle détailla la vue. Des immeubles, des routes, des rues bondés. Tokyo était plein de vie, jour et nuit. Et sur ce décor urbain, le soleil déclinait, se cachant derrière des tours de bureaux immenses.

L'anglaise n'aimait pas ces paysages. Son pays natal lui manquait souvent. Bien qu'elle soit elle aussi née dans ce genre d'ambiance sur-urbanisées... En pleine pensée, la voix du médecin la fit sursauter. Elle se retourna vers lui, fatiguée et lasse.

Quelques syllabes. Des sons ébauchés. Jamais achevés... Était-ce une question, une affirmation, un ordre ? Comment savoir ? Il faudrait être devin. Lui intimait-elle l'ordre de s'en aller, la remerciait-elle ? Est-ce qu'elle lui en voulait ? Mais déjà... Avait-elle le souvenir de ce qu'elle avait fait ? En était-elle honteuse ou fière ? Le regrettait-elle ? Pourquoi avoir fait ça ?

Cette foultitude de questions sans réponse qui se précipitaient toutes en même temps dans son esprit lui rappelait ô combien les causes et les réactions de ce genre d'actes sont différentes selon la personne et surtout... A quel point elle ignorait tout de la demoiselle qui se tenait allongée devant elle. Comment devait-elle réagir ? Ce genre de situation est tellement... Singulière. Aucun mode d'emploi à disposition.

Sa première idée fut de jouer celle qui était sûre d'elle, qui ne doutait pas. Celle qui pouvait réconforter et être à l'écoute. La petite fille modèle compréhensive et amicale. Mais cela serait au-dessus de ses forces, une comédie pareille lui en demandait trop. Alors quel rôle jouer ? L'anglaise était fatiguée. Jouer le moindre rôle serait trop, elle ne tiendrait sans doute pas.

Ne lui restait alors qu'à se montrer tel quel. C'en était terrifiant. Emily s'approchait du lit, précautionneusement. Elle tenta timidement un sourire vers la jeune fille.